Le rôle des règles de vie quotidiennes
en (ré)éducation
Il y a peu, j’ai évoqué sur la page Facebook les discordances qu’il peut y avoir au sein d’un couple ou d’une famille au sujet de l’éducation du chien (au niveau des méthodes et même des objectifs), lesquelles ralentissent voire bloquent l’évolution du chien pour lequel on me contacte. Les désaccord concernent souvent les points de gestion environnementale au quotidien, plus que les exercices éducatifs à proprement parlé, puisqu’une personne non motivée aura peu de chance de chercher à faire travailler le chien.
J’avais envie ici d’expliquer en quoi cette gestion des éléments de la vie de tous les jours relève de l'impératif, même si l’on ne voit pas toujours de prime abord le lien entre le conseil donné et la problématique du poilu.
C’est un écrit assez court (pour une fois ^^), assez indiqué pour tenter de convaincre un proche ne comprenant pas le sens des règles que vous essayez de mettre en place ensemble.
De la même manière qu’on ne peut rien (re)construire de stable avec un animal dont les besoins ne sont pas respectés, vouloir progresser avec un chien extrêmement inhibé, terrorisé de tout, ou bien avec un agressif pro-actif, ou encore tout simplement avec un jeune ado titillé par ses hormones, est tout simplement utopique, si l’on ne pose pas un cadre de vie clair, sécuritaire et cohérent dans le temps.
C’est pour cela que je demande à mes clients de mettre en application une série de règles stables, à la maison. Certaines sont adaptables à la personnalité du chien et aux envies des humains qui s’occupent de lui (comme de lui laisser accès à toutes les pièces ou non, le fait qu’il dorme au salon ou dans le lit, le fait qu’il ait droit ou non au canapé, qu’il ait accès en permanence à des jouets ou non etc.) D’autres ne le sont pas car elles contiennent un véritable enjeu éducatif en lien, plus ou moins direct, avec le ou les points qu’on veut améliorer ou traiter. Pour synthétiser, si elles ne sont pas négociables, c’est parce qu’elles visent notamment à montrer au chien que les comportements calmes et d’attention sont ceux qui payent. Elles ne le sont pas car elles apprennent à Toutou à se connecter à l’humain, à descendre en intensité, à mieux gérer ses émotions dans la vie de tous les jours, d’abord sur des situations connues, anodines, répétitives. La gestion émotionnelle étant toujours au cœur des problématiques de consultation, vous pouvez voir ici se dessiner le lien entre le cadre à instaurer et le(s) motif(s) de demande de suivi.
Nous allons traiter l’exemple de la règle autour du passage de portes, au sens large.
Je demande à mes clients de ne plus laisser le chien s’engouffrer/sortir sans réfléchir dès qu’une porte s’ouvre sous son nez. Je les invite à avoir un signal vocal qui autorise le chien à passer, à un moment où Toutou a l’air de se calmer, de se connecter à l’humain ou de renoncer (selon son niveau de patience actuelle). Comme il n'est pas question d'apprendre au chien à bêtement obéir mais plutôt à réfléchir avant d'agir, aucune demande n'est formulée pour que le chien reste en place pendant les ouvertures.
Soyons clair : cela n’a aucun but hiérarchique – de toute façon, ce serait un non-sens. On se fiche bien de qui passe avant ou après dans cet exercice. Tout ce qu’on veut, c’est récompenser le calme et/ou l’attention, plutôt que de valider l’excitation en donnant au chien ce qu’il désire (sortir ou rentrer) alors qu’il force le passage.
C’est en partie sécuritaire : savoir que son chien ne passera pas une porte/un portail en train de s’ouvrir sans autorisa-tion est sécurisant, surtout si l’on vit au bord d’une route ou si l’on a un chien qui peut se montrer agressif envers un autre chien ou quelqu’un.
C’est avant tout dans un objectif de renforcement des auto-contrôles, de l’auto-gestion émotionnelle du canidé et de prises de décisions intéressantes pour l’humain. En effet, comme ce dernier ne donne aucun ordre pour forcer le « calme » et l’attente, le chien doit réfléchir et comprendre ce qui fait qu’on lui donne ou non la possibilité de franchir l’espace. Pour comprendre, il faut qu’il réfléchisse. Pour réfléchir, il faut qu’il se pose. C’est aussi bête que ça.
C’est un exercice qui peut se pousser très loin, allant du mot libérateur débité très vite sur un détournement de tête du chiot à un individu capable d’attendre à l’intérieur tandis que son humain fait des allers retours pour débarrasser ses courses, en laissant la porte d’entrée ouverte. Ou bien le temps que des invités entrent. Ou encore quand on va signer pour récupérer un colis, sans refermer derrière nous.
Au moment où notre travail commence, je me fiche que le chien dont il est question sache le faire avec un « assis pas bouger ». Cela n’a pas grand intérêt et encore moins avec un animal particulièrement émotif. Ce que cette règle enseigne, c’est la capacité à décider de rester tranquille jusqu’au signal, sans pour autant se sentir en ébullition à l’intérieur. Elle est là, la différence.
Finalement, la règle « le chien ne doit pas franchir une porte, quelle qu’elle soit, sans signal verbal » n’est pas là pour donner du pouvoir ; elle participe à l’éducation de ce petit chiot tout fou qui, très normalement, ne maîtrise pas son corps et ses émotions et doit apprendre à le faire, comme elle participe à la rééducation du chien réactif qui se frustre d’un rien et a l’habitude d’exploser pour pas grand-chose.
L’éducation n’est, en soi, pas si difficile. Il suffit de faire se dépenser (au sens large) justement le chien et d’être parfaitement cohérent dans ce que nous attendons du quatre-pattes au quotidien. Là où le rouage se met à grincer, c’est lorsqu’on se rend compte que l’humain a beaucoup de mal à rester droit dans ses bottes quant à ses décisions et la gestion du quotidien.
Ces règles ne sont que du bon sens, en fin de compte. Parce que si nous voulons renforcer le calme de notre chien, nous ne lui laissons logiquement pas une flopée de jouets tous plus bruyants et destructibles les uns que les autres en libre service. Si nous souhaitons le rendre capable de renoncer, de ne pas se frustrer de devoir attendre face à ce qu’il désire, nous ne pouvons pas le détacher alors qu’il s’agite en couinant parce qu’il a vu son pote Milou. Si nous désirons cultiver son attention, nous ne pouvons pas le laisser aller dire bonjour à Tata Gâteaux alors qu’il ne nous a pas regardés. Si nous avons besoin de lui apprendre à patienter, nous ne pouvons pas lui donner accès au canapé alors qu’il chouine devant ou force la main pour monter. Etc. etc.
Ces règles ne sont que du bon sens et une sorte de mal nécessaire. L’humain doit (parfois) se faire violence pour les intégrer et les mettre en place, car elles vont lui permettre d’observer une réelle progression de son chien, s’il s’y tient. La vérité - celle qui fait mal -, c’est que nous pouvons faire deux, trois, quatre sessions d’exercices par jour, avec la plus grande des applications, et piétiner largement en dehors de ces dernières. Quand le chien excelle dans les moments de travail ouverts mais multiplie les comportements gênants le reste du temps, c’est très souvent parce que l’humain travaille avec son animal seulement de façon ouverte et gère assez peu (voire pas, ou mal) l’environnement et le cadre quotidien.
Alors oui, j'en ai conscience malgré l'habitude, c’est contraignant. Éduquer de façon intelligente, sans violence, c'est contraignant. On se rend rapidement compte qu’on travaille tout le temps, finalement. Qu’il faut faire attention à tout, même dans la maison, même quand on décide de se poser dans son fauteuil après une journée épuisante. Au début, cela demande un véritable effort à qui n’a pas l’habitude d’être vigilant sur des points qui ont l’air de relever du détail.
Mais rien n’est jamais un détail. Je vous jure que, dès lors qu’on se met à respecter les besoins du chien en lui offrant une vie plus riche ou plus adaptée ET qu’on instaure ce cadre de vie par le biais de quelques règles, le chien nerveux/remuant/anxieux/réactif se met doucement à changer, car il se sent protégé et encadré avec bienveillance, dans le même temps qu'on renforce les comportements souhaités. Et, avec le temps, promis, tout deviendra aussi naturel pour le chien que pour son humain d'attachement.
Margot Brousse ~ Freed Dogs
Article publié en octobre 2022
Revu en février 2024