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Ces concepts humains

étrangers au chien...

  1. La vengeance

 

     Qui n'a pas déjà entendu « d'habitude, je l'emmène, mais là, je l'ai laissé à la maison et il s'est vengé : il a tout détruit/fait ses besoins dans la maison » ? Cette vengeance... Nous l'aimons bien ce concept, nous, humains. C'est notre manière d'expliquer un bon nombre de comportements. Pourtant, la vengeance est une idée complète, bien trop abstraite pour être expérimentée (ressentie) par nos quatre pattes.

     Derrière ce concept, on a l'idée d'une rancœur vis à vis de l'humain – ou d'un autre chien. Et c'est bien cette rancœur qui est clairement un produit du cerveau humain, lequel anthropomorphise son animal pour justifier ou en tout cas (s')expliquer son ou ses actes, malgré lui. Mais voyons un peu les choses du côté canin...

     Toby le caniche vit avec Martine son humaine. Tous les matins, Martine part travailler avec son chien et rentre les midis le déposer. Sauf cette fois : Toby est laissé à la maison. Et quand Martine revient le soir, Toby, pourtant propre depuis des années, a fait sur le tapis.

     Magouille le jack russell regarde chaque matin sa propriétaire s'absenter. Couché à sa place, il la laisse partir sans réagir, la guettant du coin de l’œil. En revanche, Magouille sait que les après-midi, il part avec elle au bureau. Mais ce jour-là, Marie est en déplacement sur la région et son jack doit rester à la maison. Il la suit, ravi, à la porte mais on lui dit « non, tu restes là » et la porte se ferme. Magouille profitera de cette absence pour vider les coussins du canapé.

     Mambo l'épagneul breton part chaque dimanche chasser avec Charles. Il le sait et attend ce moment avec impatience, toute la semaine. Mais ce dimanche, Charles est malade et cloué au lit. Pendant un moment, Mambo attend patiemment près de son lit puis finit par aller faire un tour plus loin dans l'habitation. Quand Charles se lèvera, il découvrira que Mambo a grignoté un pied de table.

     Max le husky a l'habitude de faire une longue sortie sportive avec Thomas avant que ce dernier ne parte travailler. Mais ce matin, Thomas a raté le réveil et se contente d'offrir une sortie sanitaire à son compagnon., lui promettant qu'ils rattraperont le temps perdu le soir venu. Lorsqu'il rentre du travail, Max lui a mangé ses baskets.

     Babouche le bichon accompagne Brigitte partout depuis qu'il est petit ; il est d'ailleurs adorable en voiture et supporte très bien d'y patienter seul si nécessaire. Mais un jour, Brigitte part avec des amis dans leur voiture ; elle ne veut pas imposer sa présence et, à son retour, Babouche a uriné sur un meuble du salon et mis en pièce les magazines qui traînaient.

     Loula la croisée s'agite de trop dans la maison alors que les enfants jouent. Sa maîtresse lui a déjà dit plusieurs fois de se calmer et pourtant, Loula vient de renverser une des petites. Elle est punie dans la buanderie, plusieurs heures. Quand on la laissera sortir, on découvrira un beau trou dans le mur du fond de la pièce, au niveau d'une prise.

    Banjo le berger allemand est en promenade avec Robert. Comme il n'a jamais été travaillé au rappel, Banjo fait toutes ses sorties en longue laisse et s'en est (apparemment) accommodé. Ce jour-là, Robert et son chien croisent une dame âgée et son yorkshire. Le york en face se met à tirer aussi fort qu'il peut en aboyant sur Banjo, poil hérissé. D'habitude, le berger allemand ne réagit pas mais décidément, ce bout de chien est insupportable ; son attitude et ses cris le stressent et, bientôt, c'en est trop pour lui. Alors Banjo, submergé par ses émotions, se met à tirer aussi. Mais Robert, craignant pour le york, le retient fermement et l'empêche d'atteindre sa cible en raccourcissant la laisse. Le temps que la dame et son petit chien excité passent, il se passe de longues secondes où Banjo est retenu, par le collier maintenant. C'est alors que le berger se retourne contre son humain et le pince au bras, ce qui le fait de suite "redescendre", contrairement à Robert...

     Dans chacun de ses cas, l'humain aura tendance à penser : le chien s'est vengé. Il n'était pas content et l'a bien signifié à son propriétaire. Mais dans les faits, il n'y a aucune idée de vengeance dans la tête de ces divers animaux ; aucun ne s'est dit « tiens, tu me laisses ici/tu m'empêches de faire ça ? Tu vas voir, tu ne vas pas être déçu ! ». Car c'est ce qu'impliquerait la vengeance, finalement : faire payer à l'autre. Tous ont simplement été frustrés. Ils ont vu leur habitude, leur rythme de vie, celui qu'on leur avait créé et auquel ils se raccrochent pour avoir des repères, exploser en vol et n'ont pas compris les raisons de ce bouleversement.

     Nos raisons sont souvent légitimes d'un point de vue humain mais elles ne sont pas appréhendables par nos compagnons. Ceux-ci subissent simplement le changement brutal, inattendu, qu'on leur impose soudainement. Et beaucoup en souffrent, d'une certaine façon. Or un chien qui se sent mal va chercher à faire sortir ce mal-être – ce qui est plutôt sain. Si Toby a fait sur le tapis, c'était pour se sentir mieux. Si Magouille s'est défoulé sur les coussins, c'était pour se sentir mieux. Si Mambo s'est fait les dents sur le pied de table, idem. Et ainsi de suite. Ce n'est finalement pas plus compliqué et correspond à la nature naturellement hédoniste du chien : chercher à se faire plaisir, ou à retourner à un état plus serein.

     Beaucoup de chiens détruisent quand ils sont frustrés parce que mastiquer constitue un réconfort. C'est une activité à part entière qui s'est substituée à la sortie et donc à l'exutoire physique habituel de Mambo et Max, par exemple. Mastiquer permet à chacun de retrouver son état normal, antérieur à l'événement ayant engendré la frustration/le mal-être. D'autres ont tendance à uriner à la moindre contrariété. L'effet de sérénité que cela apporte est alors moins clair mais cela reste une forme de soulagement. Quant à Banjo, le fait qu'il ait mordu Robert ne signifie pas qu'il est dangereux et qu'il recommencera, ni qu'il en a voulu à son humain de ne pas pouvoir atteindre le chien visé initialement. Banjo, agacé d'être « insulté » par le york sans pouvoir agir, a déchargé sa frustration sur la seule cible à disposition : son gardien. Il n'a pas voulu agir ainsi, il n'en a même pas été conscient ; il a répondu à un réflexe et, immédiatement après, il s'est calmé.

     => Chacun de ces chiens aurait besoin qu'on travaille sur sa gestion émotionnelle de fond et de s'assurer qu'on respecte bien ses besoins spécifiques.

 

     Pour conclure, aucun ne pense à mal mais agit seulement dans son intérêt, sans la volonté de nous contrarier. Ce n'est pas ce qu'ils veulent. Gardons-le en tête ; il est plus facile d'accepter (temporairement) ces actes quand on en comprend les raisons et qu'on sait que notre ami poilu n'a pas cherché à nous rendre la monnaie de la pièce.

    Je terminerai sur le concept de vengeance en disant que tous les chiens ne supportent pas la frustration de la même façon et que c'est un point qui se travaille. Ce qui reste certain, c'est qu'un animal dont les besoins canins sont respectés (en terme de sorties, exploration, mastication, jeu etc.) sera beaucoup moins réactif face aux changements et bouleversements de nos vies – et de la leur – et donc bien moins à même de nous en faire subir les conséquences.

      2. La jalousie

     Quand votre adorable ado australien vient s'immiscer "délicatement" dans un câlin avec vos enfants, ou quand il jappe devant ses humains se prenant dans les bras, ou encore quand il cherche à s'imposer à vous alors que vous tentez de caresser le chien d'un ami en visite, on en conclut souvent "il est jaloux".

    Là encore, la jalousie est un sentiment assez complexe dont une partie échappe à nos chiens. Le larousse indique un "sentiment fondé sur le désir de posséder" et "sur la crainte de perdre au profit d'un rival". Ce serait également un "dépit envieux" au sujet de ce quelqu'un d'autre possède. Toutes ces dimensions ne peuvent pas être analysées par le chien ; en admettant qu'il soit capable de se projeter dans l'avenir (en sachant où il va quand il monte en voiture par exemple), un avenir hypothétique lui est en revanche totalement inaccessible. Le chien vit essentiellement dans le présent, dans la situation, qui lui convient ou non.

     Dans la jalousie, il y a souvent de la rancune (encore !) vers l'une ou l'autre des personnes concernées, voire les deux. Par exemple, si la mère de Tristan et Mickaël n'emmène que Tristan au cinéma pour X raison, valable ou non, Mickaël est jaloux de Tristan mais, a priori, il en veut aussi à son frère (d'être le "préféré") et/ou à sa mère (d'avoir un "préféré" ou de ne pas être le "préféré"). C'est ce qu'indique la partie de définition "crainte de perdre au profit d'un rival". Il est alors possible que Mickaël refuse de parler à sa mère une fois rentrée, s'enferme dans sa chambre, repousse son frère qui lui proposerait de jouer avec lui etc.

     Pour sa part, un chien n'en veut à personne ; ceux qui sont dits rancuniers sont surtout des individus qui digèrent mal les frustrations et donnent l'impression de bouder. En réalité, ils mettent du temps à récupérer de leurs émotions négatives et ont besoin d'espace pour le faire. Mais le plus souvent, le chien ne "fait payer" à personne le fait d'avoir été repoussé dans son approche invasive : il sera tout à fait content de récupérer de l'attention quand il en récupérera, ou pourra jouer sans problème avec le chien/l'enfant lui ayant volé la vedette.

     Quand le chien s'impose dans un moment d'affection, je pense que, la plupart du temps, son idée ne pas va plus loin que "tiens, ils se font un câlin ; j'ai bien envie de participer et d'avoir de l'attention aussi !". Dans sa tête, c'est probablement le bon moment pour demander qu'on s'occupe de lui, puisque l'humain a l'air disponible pour des interactions sociales (contrairement aux moments où il est devant son ordinateur ou en train de cuisiner, entre autres). Ce chien peut être un peu brute et bousculer, mais il ne manifeste aucune agressivité tandis qu'il essaie de se faire une place dans l'échange. Il tient seulement à participer. On a alors un chien proche de sa famille, un peu trop émotif et impulsif, qui aurait besoin d'apprendre à interagir plus calmement et à ne pas quémander le contact sans arrêt. Finalement, il n'est même pas possessif ; il est (très) sociable et mal canalisé/ régulé.

     Mais, dans d'autres cas, il est aussi possible qu'il s'agisse d'une forme de protection de ressources sur l'humain, ce qui n'est pas acceptable pour des raisons de sécurité. En effet, si notre chien grogne un proche ou un autre chien s'approchant alors que nous nous occupions de lui, voire avance pour l'attaquer rapidement et brièvement avant de revenir à nous, c'est possiblement qu'il nous "défend" (qu'il défend aux autres de s'approcher de nous deux, en fait). C'est encore pire s'il vient en grondant pour repousser l'être vivant qui semble accaparer notre attention, alors que, quelques secondes avant, il ne se préoccupait pas de ce que nous faisions. Dans ces cas-là, on a bel et bien un chien possessif qui peut devenir dangereux si on ne régule pas vite ce comportement (non violemment !). Un bilan et un suivi comportemental sont alors nécessaires.

      Finalement, c'est parce qu'il ne se dit pas "oh non, s'il/elle s'occupe de cette personne/ce chien, c'est qu'il ne m'aime plus (ou moins) et que je vais le perdre !" mais plutôt "oh chouette, une occasion de câââlin !" ou "C'est à moi ! Alors tu dégages et vite !!!" qu'on ne devrait pas parler de jalousie.

     On évoquera donc plus justement une sociabilité non régulée, une possessivité marquée et/ou une protection de ressources inappropriée.

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